Décidément, elle ne s'habituerait donc jamais à ce genre de pression, qu'elle sentait se poser sur ses épaules, à mesure qu'un nouveau spectacle approchait. Elle, cette fille insignifiante du district 11, aussi pauvre qu'elle pouvait le paraître, avait cette unique chance d'avoir pu réaliser l'un de ses rêves les plus fous; danser, pour de vrai, devant des spectateurs qui auraient l'occasion d'apprécier son talent. Gabrielle dansait depuis qu'elle tenait debout, encore un des nombreux héritages de sa tendre mère, mais elle n'avait jamais eu un réel public à époustoufler. Là, tout était vrai, authentique. La musique, les vêtements resplendissants, les paillettes, les invités. Les illusions qui avaient régné dans son esprit durant la totalité de sa vie étaient à présent à portée de main, l'attendant, à quelques pas de la loge dans laquelle elle devait se résigner à s'exiler, attendant le début du show.

Sentant son pouls augmenter à mesure que le temps passait, elle avait fermé les yeux, sentant qu'il serait plus facile de se calmer et de se concentrer, si le monde extérieur pouvait s'absenter, ne serai-ce que l'espace de quelques instants. S'évader, voilà tout ce qu'elle demandait. Comment rester calme? La réponse lui vint à l'esprit, comme si c'était la chose la plus naturelle du monde: Ephram. Un ami, le premier à l'avoir jamais encouragé dans l'univers de la danse. Tandis qu'elle visionnait intérieurement son visage, qu'elle connaissait par coeur, elle sentit un soudain sentiment d'apaisement monter en elle. Elle se mit à penser à ces longues soirées d'été passées à lui apprendre quelques pas de danse, et elle se promit qu'une fois sur scène, elle tenterait de faire abstraction des spectateurs, qui avaient le don de la tétaniser, pour imaginer qu'elle était retournée en enfance, et que les pas qu'elle devait accomplir sur scène n'étaient rien d'autre de de l'amusement pur et simple. Alors que l'image de son vieil ami disparaissait peu à peu de son esprit, elle se surprit à penser aux dernières soirées qu'elle avait animé, derrière Emma, au chant, et parmi ces autres danseuses du Capitole qui les accompagnaient. Elle se souvint de l'ambiance exquise, remplie de merveilles, un univers qui avait été durant si longtemps été étranger à Gabrielle.

Perdue dans ses pensées, réfléchissant surtout à quel point l'univers de la plupart des districts les plus riches était merveilleux, comparé au sien, le district 11, elle avait quasiment perdu toute conscience du monde extérieur, comme elle le faisait souvent, voguant inlassablement d'une pensée à une autre, et ne remarqua donc pas que quelqu'un était entré dans la loge, la partageant donc avec elle. A un moment donné, elle commença à "refaire surface", prenant le dessus, et elle jeta un coup d'oeil à l'immense miroir disposé devant elle. S'observant l'espace d'un instant, elle remarqua son étrange pâleur, et décida d'utiliser un peu de poudre, cherchant à corriger son teint. Cherchant ce pot miraculeux des yeux, elle ne put s'empêcher de remarquer le jeune homme présent à ses côtés, qu'elle avait jusqu'alors parfaitement ignoré, non par prétention, mais pas négligence non désirée, dû au fait qu'elle avait une très nette habitude à rêvasser très facilement. Gênée de son manque d'amabilité, elle sourit au jeune homme, plutôt beau garçon, qui devait avoir une vingtaine d'année, dans le simple but de s'excuser, en quelques sortes, de ne l'avoir pas remarqué plus tôt. Il lui sembla étrangement familier, et elle demeura certaine d'avoir déjà vu son visage quelque part, sans parvenir à se souvenir où. A présent gênée de le fixer ainsi, elle détourna la tête, remarquant soudainement l'objet qu'elle désirait devant le garçon. Se levant de son siège, elle s'approcha du petit bureau disposé devant l'inconnu, et elle entreprit de saisir le pot qu'elle convoitait. Mais, Gabrielle, sans savoir si c'était dû au stress, ou alors à une maladresse imprévue, en saisissant le couvercle, celui-ci lui glissa des mains, et se déversa sur le sol, avec un certain fracas, laissant se répandre dans l'air toute la poudre présence dans la petite boite, formant une sorte de nuage beige. " Oh, wow. Pardon. Désolée. Je suis navrée." s'excusa t-elle, horriblement confuse, s'attendant certainement à se noyer sous une montagne de reproches de la part du jeune homme, auquel elle venait tout juste d'offrir une sorte de bain atmosphérique de poudre pour la peau. Se répandre en excuses semblait la seule chose qu'elle était capable de faire. Elle toussota sous l'effet de la poudre, et sentit sa gorge la picoter. Plus angoissée à l'idée d'avoir énervé le jeune homme plus qu'autre chose, elle se contenta d'attendre, le coeur battant, son manque de confiance en elle reprenant le dessus, tandis que le nuage de poudre se dissipait peu à peu, rendant l'atmosphère quelque peu respirable à nouveau. Pourquoi diable fallait-il que tout se passe mal, lorsqu'elle tentait de se comporter convenablement? " Je suis juste... vraiment stressée." se risqua t-elle d'ajouter, cherchant à excuser sa maladresse, avec un faible sourire qui la faisait étrangement ressembler à un minuscule animal apeuré et sans défense. Et encore, le mot stressé, c'était un euphémisme. Elle n'avait pas l'impression que des mots parviendraient à exprimer son état actuel. Une gêne horrible s'ajoutant à son appréhension de sa futur représentation scénique, elle n'eut aucune autre idée en tête que de retomber dans son fauteuil, intérieurement épuisée, attendant de voir la réaction que l'inconnu allait avoir envers elle.

Finalement, le jeune homme se révéla être très agréable. "Ne vous inquiétez pas, ce n’est pas grave. " avait-il répondu, après avoir longuement toussé, tout comme Gabrielle. Il se baissa ensuite pour ramasser le pot de poudre, désormais vide, pour le tendre à Gaby, qui s'en saisit, et le déposa avec précaution sur sa propre petite table. Evidemment, il ne pouvait plus rien lui arriver maintenant, à ce malheureux pot, avec son contenu déversé dans toute la pièce, mais elle préférait faire attention. Avec la chance qu'elle avait, il aurait très bien pu lui glisser des mains, et lui crever un oeil.

La maladresse apparaissait toujours chez la jeune femme, dès qu'une once de stress venait la secouer. Bien sur, tout ceci disparaissait à la minute où elle montait sur scène, pour une représentation, mais elle devait tout de même lutter avant ça pour ne pas produire une catastrophe digne de ce nom. Elle n'avait jamais vraiment réfléchi à l'origine de sa nervosité maladive, mais c'était peut-être tout simplement qu'en grandissant, elle avait commencé à perdre son assurance, et douter de tout, lorsque cela se rapportait à elle-même, au lieu de se mettre à douter des autres, naïve. Porter une confiance aveugle en tout les autres qui l'entouraient, et ne pas garder une once d'espoir en elle-même, voilà une drôle manière de penser, et pourtant, il en était ainsi, elle ne pouvait pas en faire autrement. Un jour, peut-être, quelqu'un aurait la force de l'aider à surpasser tout ça, mais ce jour était bien loin d'être arrivé, et elle le savait. En attendant, parfois, d'horribles idées lui venaient en tête. Par exemple, elle se disait que si elle restait ainsi, et qu'elle était choisie pour participer aux Hunger Games, jamais elle ne s'en sortirait vivante. Cette pensée avait le don de la hanter... " Le stress, c'est pas bon ; je suis nerveux également... Vous êtes une danseuse ?" continua l'inconnu, mettant fin à ses idées sordides. En engageant la conversation, il la remit même de très bonne humeur, car elle parvint à arrêter de penser à toute les mauvaises choses qui pourraient lui arriver, pour au contraire se concentrer sur la raison pour laquelle elle était ici: danser. En effet, il s'agissait là de sa plus grande passion, et elle avait la chance merveilleuse de pouvoir l’exercer, malgré son passé, malgré ses origines, et c'était une fantastique opportunité pour elle, d'en être arrivée là. Si ce n'était pas grâce à la danse, à cette heure-ci, elle serait encore dans son district natal, en train de trier des fruits, et pourtant, non, elle était là, à se préparer pour danser devant une montagne de gens du district quatre. Parfois, elle avait beaucoup de mal à réaliser cela.

" Bien deviné, je suis danseuse." répondit-elle en souriant. Peut-être que discuter avec le jeune homme parviendrait à la calmer, en quelques sortes, enfin du moins, elle l’espérait, bien qu'elle fut persuadée de ne jamais être à l'abris d'une catastrophe, quoi qu'il en soit. " Je viens du onzième district, et c'est une amie qui m'a permis de me faire entrer dans sa troupe, en tant que danseuse. " continua t-elle, avant de se rendre compte qu'elle avait certainement trop parlé. Pourquoi embêtait-elle ce jeune homme avec ça? Sincèrement, sa tendance à parler trop l'agaçait elle-même, mais bon nombre de personnes avaient tendance à trouver cela attendrissant, ce qu'elle déplorait. Cependant, elle ressentait une envie irrépressible de faire quelque chose, alors son choix c'était arrêté sur la parole, bien qu'elle allait à présent tenter de se contrôler. Pour qui allait-on la prendre, à dévoiler tout ça à une personne qu'elle connaissait depuis cinq minutes? " Et vous? Chanteur? Musicien?" demanda t-elle, curieuse à l'idée de savoir quelle fonction il aurait lors de ce spectacle, dirigeant à présent la conversation sur lui, plutôt que sur elle, tandis que cette impression de l'avoir déjà vu quelque part continuait à s'intensifier. Pouvait-il avoir, comme Emma, survécu aux Jeux, et vu son visage se diffuser sur toutes les chaines de télévision? Cette idée lui traversa la tête, incertaine.

Elle ne pouvait pas décrocher le regard de son visage, qui lui paraissait inconnu, et pourtant d'un autre côté si étrangement familier. Il allait finir par s'en rendre compte, éventuellement, mais Gabrielle ne s'en préoccupait pas le moins du monde. Il prit bien le temps de s’asseoir, laissant momentanément la discussion en suspens, comme si c'était prévu, qu'il le faisait exprès, conservant un certain mystère autour de lui. " Musicien. Je joue de la harpe pour faire plaisir au Capitole, mais je ne suis pas encore très doué… " finit-il par avouer. "pour faire plaisir au Capitole." Cette phrase la déconcerta, mais elle décida de passer outre. Alors il était musicien. Voilà une discipline qui devait être fascinante. Gabrielle avait déjà quelques connaissances du chant et de la danse, grâce à Emma, mais elle n'avait encore jamais réellement côtoyé de musicien. Et c'était tout à fait naturel, d'ailleurs, pour quelqu'un venant de son district, qui était axé sur le travail, et où la seule activité artistique étant souvent pratiquée était le chant, qui était même une délivrance, pendant les durs travaux aux champs, ou dans les vergers. De la harpe, jouait-il. Gabrielle avait déjà entendu parler de cet instrument, mais n'avait pas la moindre idée de ce à quoi il ressemblait. Certainement un instrument à corde, comme une guitare, instrument qu'elle avait eut l'occasion de voir brièvement une fois, avant son premier spectacle. " … D’où mon stress. Je suis toujours comme ça avant un spectacle." continua t-il. Quelque chose clochait. Pourquoi le Capitole tenait-il tellement à le voir jouer de la harpe, s'il n'était pas si doué que ça? Cela restait pour le moins étrange. Alors c'était vrai, il avait du gagner les Jeux, comme Emma, qui elle c'était spécialisée dans le chant? Certainement. Mais un dernier détail restait embêtant. Il avait l'air jeune, une vingtaine d'année, et pourtant, elle ne le reconnaissait dans aucun des vainqueurs récents. " Vous devez être proche d’Emma pour qu’elle vous ait fait entrer dans sa troupe, je me trompe ?" demanda t-il ensuite, contre toute attente.

Gabrielle sentit ses pensées filer à toute allure, maintenant qu'il avait affirmé connaitre Emma, il était obligatoirement un des vainqueurs des Jeux, mais ses réflexions furent arrêtée par l'entrée d'une personne de la troupe, leur indiquant qu'il serait préférable de terminer de se préparer, le show commençant dans très peu de temps. Étrangement, Gaby eut l'impression que le jeune homme n'était pas peu fier de l'effet intriguant qui l'entourait, et elle ne pouvait pas lui en vouloir. Elle-même aurait bien aimé avoir une once d'importance, se voir susciter un intérêt tel qu'elle en portait au jeune homme. Ce dernier, n'attendant pas que Gaby lui réponde, se leva pour choisir une chemise à porter. " Oh..." souffla Gabrielle, bien malgré elle, en faisant soudain le lien avec toutes les preuves qu'elle avait sous les yeux. Des tas de flashs lui vinrent en tête, et parmi eux, le visage de cet adolescent d'une quinzaine d'années, peut-être moins, un trident à la main, paré à gagner une édition des Hunger Games, dans un désert aride et hostile. Quel était son nom, déjà? Nate Tertagham? Nale Tarteghnam? Non... Nale Targethnam. Cette fois, elle était persuadée de l'avoir bel et bien identifié. Son visage cessa toute crispation, soulagée à l'idée d'avoir pu se souvenir de lui. Après tout, bien qu'elle fut jeune lors de l'édition des Jeux à laquelle il avait participé, elle se souvenait de quelques bribes, et certaines images repassaient parfois à la télé. Et puis, un vainqueur si jeune, tout le monde trouvait cela parfaitement mémorable. Elle ne regardait pas la télévision lorsqu'elle pouvait l'éviter, et préférait passer son temps libre à danser ou rêvasser, plutôt qu'à visionner les images que le Capitole voulait montrer aux districts, pourtant elle était persuadée de l'y avoir vu. Bien qu'elle fut à présent certaine de l'avoir reconnu, elle ne pouvait pas s'empêcher de l'observer à la dérobée, dans son miroir immense. Elle se mit à rougir légèrement lorsqu'il ôta sa chemise pour revêtir celle qu'il avait choisi, tandis qu'il ne semblait pas éprouver la moindre gêne.

Un détail n'échappa pas à Gaby: il laissa intentionnellement laissé ouvert deux boutons de sa chemise, ce qui devait être naturel chez lui, et certainement le désir du Capitole. Il est vrai qu'il devait leur plaire, à toute ces femmes, là-bas, au Capitole, et dans les autres districts, et que le Capitole avait souvent l'habitude de miser beaucoup sur le physique des gagnants, les faisant passer pour des coureurs de jupons. Cela devait être pénible, au bout d'un certain temps, de n'être qu'un morceau de viande pour affoler les dames. Comme s'il avait eut la même pensée, Gaby l'entendit soupirer. Puis elle se rendit compte qu'elle n'avait pas la moindre idée de ce qu'elle devait faire: lui dire qu'elle savait qui il était, ou alors faire comme si de rien était? Cette interrogation lui fit froncer les sourcils, ce qu'il remarqua, en jetant un coup d'oeil vers elle.

Après un petit moment de silence, qui correspondait à celui que Nale avait prit pour revêtir une nouvelle chemise, Gaby se rendit compte qu'elle n'avait pas répondu à la question qu'il avait posé, et que, surtout, elle n'avait pas bougé, à l'annonce du commencement prochain du spectacle. Elle se leva alors, avec une certaine lenteur, et enfila les chaussures qui étaient disposées à côté de son fauteuil, des hauts talons, de couleur dorée, ce qui représentait un changement considérable pour la jeune femme. Elle avait, durant toute sa vie, dansé pieds nu dans l'herbe, ou sur le sol boisé de sa chambre. Tant bien que mal, ces derniers mois, elle s'était entraînée pour danser avec quelques centimètres en plus, ce qui s'était révélé difficile, mais elle avait fini par le maîtriser. Elle ne pouvait s'empêcher d'éprouver cependant une certaine appréhension, à chaque fois, tant elle avait peur de tomber. Elle entreprit ensuite d'ôter le peignoir en soie, bleu nuit, qu'elle portait, laissant apparaître une robe assortie à ses chaussures, couleur or, parsemée de paillettes, et plus courte que tout ce qu'elle avait porté auparavant, ce qui avait le don de la gêner." Emma est l'une de mes plus vieilles amies. " affirma-t-elle enfin, d'une voix douce, cachant la surprise qu'elle avait éprouvé peu de temps avant. Elle laissa se poser un instant de silence, tandis qu'elle repliait consciencieusement son peignoir en soie, et allait le déposer sur sa chaise. Elle revint vers le milieu de la pièce, frissonna à cause de ses épaules nues, puis plongea son regard dans celui du jeune homme, et afficha un sourire, ayant enfin trouvé quoi lui dire." Et puis ne vous en faite pas, je suis certaine que vous allez vous débrouiller comme un chef, Nale." lança-t-elle, d'un air tout à fait sincère.