Isobel se tenait plaquée contre un mur, silencieuse, invisible. Non loin d’elle, un Pacificateur rôdait, la cherchait, et n’allait pas tarder à la débusquer. La brune arma son revolver, le tint contre elle, et après avoir respiré profondément, elle quitta son abri en roulant, pointant son arme vers le Pacificateur qui faisait de même, et elle tira. Une seule balle, qui toucha l’homme de plein fouet, le couvrant d’un rouge très suspect. Emportée par son mouvement, Isobel finit sa roulade derrière un mur défoncé, pendant que le Pacificateur touché à mort se relevait en enlevant son casque.
« Dis-donc Isobel, tu vises de mieux en mieux ! »
« Merci. »
La brune quitta son abri et enleva son propre casque de Pacificatrice. Agée de vingt-quatre ans, majeure, elle était maintenant trop vieille pour faire parti des Moissons, mais pile dans le bon âge pour devenir Pacificatrice, comme à peu près tous les gamins du District Deux. Les Carrières ayant échoué à être pris aux Hunger Games, un peu comme elle, même si elle ne voulait pas y partir. A la différence des autres, Isobel avait un but, et son but n’était pas de devenir Pacificatrice. Il était de se fondre toujours plus dans la société, s’élever, et attendre le bon moment pour frapper un bon coup dans les fondations du Capitole, le faire chuter, et repartir sur des bases plus saines. Oui, on ne dirait pas comme ça, mais Isobel est un pur produit de la rébellion. Famille du District Treize, peu de contacts avec les rebelles, mais assez pour savoir ce qu’il se passait dans les autres Districts. Pas grand-chose pour le moment. Quoique, Arabella Everglade commençait à soulever les foules, susciter de violents émois parmi la populace, et Isobel n’était pas en reste. Evidemment, elle comprenait très bien que le geste d’Arabella, celui de brûler sur l’eau le corps de son compagnon de District, n’était pas un geste de rébellion, mais un geste rituel qu’ils accomplissaient dans le District Quatre. Ce geste avait ému tout son District, qui lui avait envoyé un trident en argent, et Isobel elle-même avait tapé dans sa cagnotte personnelle pour acheter une petite trousse de secours fonctionnelle, comportant des bandages et des cataplasmes à base de plantes, pour l’envoyer au mentor d’Arabella, qui finit par le lui faire parvenir, avec deux cailloux symboliques du District Deux pour dire à la Tribut que quelqu’un, ailleurs, préférait la soutenir plutôt que de soutenir ses propres Tributs. Arabella avait fini par gagner et fondre en larmes en direct à la télévision, émouvant Isobel jusqu’à l’âme. Le premier souffle de la rébellion venait d’être inspiré, bien qu’il faille attendre dix ans de plus pour que la rébellion prenne enfin forme.
« Le capitaine Väderk te surveille depuis un moment, tu sais, Isobel ? »
« Ah oui ? »
« Oui, je pense qu’il aura une mission pour toi. Tu devrais aller le voir. »
Isobel hocha la tête, s’ébouriffa les cheveux d’un revers de main, puis se dirigea vers le centre de formation pour poser son casque et se changer. Quand elle monterait en grade, elle abandonnerait cette tenue blanche ignoble et ce casque Playmobil, c’est d’un ridicule franchement. Puis il faut dire qu’elle visait assez haut, chef d’escadron par exemple. Après avoir pris une rapide douche, elle enfila sa tenue propre, attrapa son casque blanc et monta dans les étages pour y rencontrer son chef, le capitaine Väderk qui semblait avoir des choses à lui dire. Certainement quelques félicitations voilées, encore une fois, sur son travail. Car, loin d’être aussi douce que ses collègues, Isobel punissait sévèrement le vol, les meurtres, les attaques, le braconnage, le brigandage. Un gamin de onze ans, qu’elle avait attrapé avec un lapin mort dans les mains, avait eu droit à ses coups de fouets, conséquence du braconnage dans les districts. Elle n’était ni douce ni gentille, et se contentait de faire son travail sans la moindre joie. Après chaque punition publique, elle ne pouvait pas s’empêcher d’envoyer anonymement quelques pièces à sa victime, pour qu’il puisse acheter des médicaments ou se payer le médecin, en plus d’un peu de nourriture. Elle joue la dure, mais en réalité, c’est une véritable peluche, notre Pacificatrice. Elle frappa trois coups à la porte, attendit qu’on lui donne la permission d’entrer, et se tint bien droite devant son chef.
« Ah, Isobel, justement je parlais de toi au commandant. »
Au commandant ? Isobel se tourna légèrement vers la gauche, et se raidit d’un coup. Ah zut, le commandant du président Snow. Ca ne peut vouloir dire qu’une chose, sa couverture est grillée. On allait l’exécuter, en tant que survivante du District Treize … Ou pas.
« Comme chaque année, j’envoie un rapport de chaque Pacificateur sous ma juridiction au Capitole, et le commandant a été très intéressé par tes compétences. Nous avons donc organisé ce petit entraînement pour qu’il puisse décider lui-même. »
Le commandant se racla la gorge et s’avança vers elle.
« J’aimerais que vous veniez avec moi au Capitole, mademoiselle Flicorn, afin que vous y deveniez un Pacificateur du président. Sachez que le travail sera dur, exigeant, mais nous ne sélectionnons que les meilleurs. Si vous restez au Capitole, vous deviendrez officiellement un de ses membres, et vos enfants à naître ne seront pas considérés comme Tributs du District Deux, mais comme des enfants du Capitole. »
« A vos ordres, mon commandant. »
« Je peux vous laisser quelques jours pour en parler avec vos parents et prendre la décision sans vous hâter. Vous n’aurez qu’à prévenir votre capitaine de votre décision, et si c’est positif, je reviendrai vous chercher, ou vous partirez en train à la prochaine Moisson. »
« Inutile, mon commandant. Ma décision est toute prise, c’est un grand privilège, j’accepte. »
Le commandant et le capitaine hochèrent la tête de concert.
« Fière et droite comme une Capitolienne. Tu iras loin dans la vie, Isobel. »