Deion Ҩ Talcott

La Moisson. La Moisson. Tic Tac. La Moisson. La Moisson.
Je cours. Les buissons me pourchassent. Je me demande pourquoi mon nom avait été tiré le jour de la Moisson. Des flammes jaillissent de tous les côtés. Le thème de l'arène. La jungle tropicale accompagnée d'un volcan. Je cours. Je prie pour ne pas mourir. Je ne veux pas mourir. Je ne veux pas. Et là, mon chemin croise celui du tribut masculin du district douze.  Soudainement, je  m'allonge et je me rends compte d'un épieu planté en pleine poitrine. Et mon dernier regard se plante sur l'hovercraft.

« AAAAAAAAAAAAAAAAAAAH. » Je me réveille en sueur, plongé dans les ténèbres les plus incertains. Huit heures du matin est affiché sur le réveil. La Moisson reste ma plus grande peur. Un jour qui se termine est une barrière en moins vers le chemin de la Moisson. Chaque année, la même rengaine semble présente. Les cauchemars, le stress. De dire adieu au district. De rejoindre le Capitole. Et de mourir dans l'arène. Je n'ai aucune chance. pourquoi en aurais-je ? Un gringalet comme moi, ce n'est bon qu'à mourir devant les carrières. Je ne qualifie pas comme tel. Bien que chaque semaine, des entrainements ont lieu en ville. Dans des bâtiments désaffectés. Je découvre avec stupéfaction que le lit est mouillé. La transpiration s'est déposée sur les draps. Jour de repos. Je n'ai aucun travail. La boulangerie est sans moi aujourd'hui et tout ce à quoi je pense est une bonne douche.
L'eau me frappe. Me détend. M'engloutit. Je lâche un soupir de soulagement. et j'essaie de penser à autre chose. La Moisson, je dois l'oublier. Faire comme si elle n'existait pas. Et si je demandais à n'avoir aucun jour de repos ? Je ne pense pas que le Père Rosier accepte. Il est strict avec les règles. Chaque employé DOIT avoir un jour de congé. Pêcher avec Nale. ... Mais. Non. Je refuse. Je dois pas vivre à son crochet. Après, je vais m'accrocher et lui pourrir la vie involontairement. Voir papa à l'hôpital ? Pour qu'il me parle de la Moisson. J'ai personne dans ma vie qui puisse m'aider. Personne d'accessible là maintenant. L'eau s'arrête de couler et je sors de la douche, enfilant un peignoir. Cadeau de Nale. Un de ses nombreux cadeaux auxquels j'étais obstiné à refuser. Parfois.

Alors que je déambule dans le salon, la sonnette retentit. Nale sûrement. Il n'y a que lui qui vient chez moi. Ma mère débarque de temps en temps pour déposer un petit quelque chose. Mais je connais ses horaires. Le soir. Parce qu'elle s'embête chez elle et qu'elle veut passer la soirée avec moi. Il veut sûrement une partie de pêche. J'ouvre alors la porte précipitamment. Et surprise !

« Aaaah ! Talcott ! C'est toi ! Euhm ... C'est aujourd'hui que tu portes du bois ? Pourtant, t'es venu il n'y a pas longtemps. » En ce moment, ton esprit était ailleurs, comme égaré. Et la notion du temps t'échappait. Tout ce qui te restait dans ton esprit ... c'était la date de la Moisson. « Vas-y, entre, je t'en prie ! » Je tendis mon bras vers l'intérieur, renfermant alors la porte derrière lui.

Il se frotta le front d'un vif revers de la main, dégageant la sueur qui perlait le long de ses tempes. Il soupira difficilement, puis déglutit avec peine. Ses bras tressaillaient, ses mains se crispaient, son visage se déforma face à l'effort. Sourcil froncés, paupières closes, mâchoire serrée. Il inspira un bon coup. Un. Deux. Trois. Plainte contenue, il força une dernière fois sur ses muscles endoloris. La charge de bois se hissa jusqu'à la rampe de la fourgonnette, s'empilant sur les rondins déjà présents. Il lâcha tout, rappant sa peau salie par la poussière et la boue sur l’écore rugueuse de la récolte. Échardes, coupures, ampoules. Il s'attarda un bref instant sur ces détails, avant d'être subitement interpellé par une voix familière. Tal, attrape-ça ! Le nommé se tourna vivement, empoignant le tissus blanc lancé dans sa direction. Sourire esquissé, il remercia l'homme d'un simple salut de la main droite. Ce même homme était son père, Caesar Elderberry. Habile bûcheron, apprécié au même compte de son fils du district 7, il n'en demeurait pas moins accablé par l'âge et par l’arthrose qui lui dévorait les articulations. Bientôt, il le sait, il sera condamné à rester cloitrer dans la petite baraque familiale, à regarder d'un air faible et impuissant les Jeux. On se rejoint ici à 15h, fiston ! Nouveau sourire. Talcott l'observa de loin, laissant le bruit du moteur vrombir à ses oreilles, comme si ce n'était rien de plus qu'un doux chant d'oisillon.
Il s'épongea la nuque, puis le cou, et enfin les clavicules. Le soleil accablait les lieux, frappant le corps du bûcheron avec une subtile malice. Le District 4 n'avait rien de comparable à celui qui l'avait vu naître. Les maisons semblaient moins froides, la boue moins salissante, le ciel moins nuageux. Mais malgré tout, le regard des gens était le même. Eux aussi avaient peur. Eux aussi craignait la moisson. La moisson... Il murmura, pliant le chiffon humide maladroitement, et le rangeant dans la poche arrière de son habit de travail, déchiré, à demi-défait, qui laissait entrevoir son alléchante anatomie. Un vent coulis lui arracha un violent frisson. Il porta machinalement sa paume sur son avant bras griffé par sa tâche récente. Il regarda longuement autour de lui. Des passants lui accordèrent un regard discret, en coin. Il inspira. Ferma les yeux. Les rouvrit au bout de quelques secondes. Puis se mit à marcher.
Il ne connaissait personne. Personne excepté Deion Esnath, un jeune de son âge rencontré par hasard des suites d'une énième livraison dans le District. Deion était boulanger, et habitait non loin du point où Talcott se trouvait actuellement. D'un pas semi-décidé, celui-ci s'était mis en tête de rendre une courte visite à son ami, histoire de discuter, et de prendre des nouvelles, ce bien malgré qu'il l'ait revu il y a de ça, à peine un mois.
[Toc, toc, toc]. Le brun passa mécaniquement sa main dans ses cheveux, tout en prenant subitement un air anxieux. Il déglutit. La porte s'ouvra étonnamment vite. Son palpitant se souleva. Il esquissa expressément un sourire en coin. Salut ! Ouais, non, hem...Disons que j'avais une livraison pour un de tes voisins. Pis bah...Comme t'étais pas loin, j'me suis dis que j'pourrai faire un rapide crochet chez toi. Avoir du mal à s'exprimer est décidément propre à Talcott. Il détourna brièvement le regard, inspirant une nouvelle fois pour faire tomber sa tension. Puis Deion l'invita à entrer. Merci.
Il n'avait eu l'occasion d'entrer chez son cadet que deux fois auparavant. La décoration n'avait pas changée. Il y avait toujours la même petite sculpture posée sur la même table basse disposée dans le même couloir étroit. Étroitesse qui d'ailleurs, avait le don de lui torde les tripes avec virulence. Maintenant que j'y pense, avec l'arrivée de la Moisson on doit quadrupler nos effectifs en bois. J'te dis pas le boulot dans les carrières, (Léger rire). Talcott avança jusqu'au séjour, dont, une nouvelle fois, il apprécia l'apparence. M'enfin, toi, comment tu vas ? Il pencha légèrement son visage sur le côté, scrutant son visage du regard. T'as petite mine.

Lorsque je fermai la porte derrière mon compagnon, je ne pus m'empêcher de grimacer lorsque Talcott évoqua le douloureux nom de la Moisson. J'essayai de l'oublier. Mais cette saleté arrivait à ramper jusqu'à dans ma maison, prenant possession des mots que prononçait le bûcheron. Tu fis mine de sourire légèrement pour l'accompagner dans son rire léger. Blaguer ironiquement sur la Moisson. Pourquoi pas ? Même si ce fut un procédé moyen.

« Boarf, comme d'hab. Légèrement stressé vu les jours qui s'annoncent. » répondis-je sur un ton monotone tout en m'asseyant sur un canapé ; ce même canapé où j'invitai automatiquement mon compatriote à prendre place à mes côtés. La petite mine, remarqua-t-il. Je ne pouvais le nier, je venais de me réveiller en cauchemar. Soupirant légèrement, je le regardai dorénavant dans les yeux. « Ouais ... c'est toute cette histoire qui me rend tendu ... La moisson. Elle me bouffe de l'intérieur. » Talcott. C'était le seul à qui je pouvais dire ça. Il aurait les mots à répondre. Il aurait quelque chose à dire. De vrai, de sincère. Venant de lui. Nale, c'était différant. Il aurait des paroles certes, mais ce serait dans l'unique but de me réconforter, chose inutile.
Lorsque les gens me critiquaient à propos de mon pittoresque appartement, je ne faisais guère attention. Cependant, avec quelqu'un à l'intérieur, il était vrai que cette demeure était pour le moins petit. Et privé de toute intimité. Trois pièces. Le salon et mon lit ne faisaient qu'un. Une salle de bain. Et une cuisine, se trouvant tout juste à côté séparée par une maigre porte. Intimité zéro. Regardant mes fringues détallés sur le sol du salon, j'écarquillai les yeux et je me mis à réagir expressément, me baissant alors pour les ramasser. « Désolé. Un peu de bazar. Je vais vite m'habiller. » Si je n'avais aucune faiblesse, c'était bien pour la pudeur. Je serais capable d'être nu devant n'importe qui. Mais sans doute que cela gênait mon ami. Prenant alors quelques vêtements de la veille, je décidai de m'extirper dans la salle de bain tout en annonçant alors : « Si tu veux ... sers-toi quelque chose. »

... Maintenant vêtu d'un piète tee-shirt avec un pantalon tout ce qu'il y a de plus banal dans l'esthétique que produisait le district huit, je refermai la porte derrière moi en revenant ensuite dans le salon, qui faisait office de chambre à coucher. La curiosité me démangeait. C'était mal, je sais. Ça empirerait les choses même. Mais je devais le faire. Je ne pouvais me contrôler pour ça. « Tu as combien de Tesserae toi ? » Baissant alors le regard ayant honte d'avoir posé cette question plus qu'indiscrète, je soupirai. J'en avais gros sur le cœur, sur la pensée. Et j'avais une idée qui trottait dans mon esprit depuis longtemps.

« Je vais me porter volontaire. »