PARTIE UNE.
Elle lui sourit bêtement. Elle était tellement bête cette Louisa. Un simple petit mot de la part de Finn et ses joues s’empourpraient. Et Finn il savait les mots qu’il fallait employer avec Louisa. Il l’aimait, c’était certain. Tous les garçons du douze aimaient Louisa, elle et ses longs cheveux bruns, ses yeux bleus tous droits sortis d’un rêve. Sa cambrure de femme faite, sa poitrine plantureuse malgré son jeune âge et ses longues jambes. Si grande et pourtant si fragile. Finn aimait se perdre dans les yeux de Louisa. Elle, elle aimait Finn. Il était fort, grand et dans ses yeux il n’y avait pas de mensonges, pas de malice. Il était honnête Finn. Et elle aimait ça la Louisa. Elle aimait quand Finn plissait doucement les pans de sa robe. Elle aimait lorsqu’il venait la prendre dans sa chambre, dès que ses parents dormaient. On lui avait pourtant dit à la Louisa, de compter ses jours. Mais elle n’y pensa plus, son esprit bien trop occupé à penser à Finn et à ses mains sur ses hanches. Son ventre s’arrondit doucement. En secret. Mais il y a des choses qu’on ne peut cacher bien longtemps. On apprit qu’elle était en cloque. Finn demanda rapidement sa main.
Mais trop tard. Louisa fut fiancée à un autre. En urgence. Elle accoucha dans le plus grand secret. Le bébé fut déclaré comme étant le fils de son époux.
Mareck Ainsworth Jr. Sa vie devint un mensonge. Plus jamais elle n’entendit parler de Finn. Plus jamais elle ne sourit. Plus jamais elle ne rit.
(…)
La bouteille se brisa sur le sol noircit par la crasse. Père esquissa une faible grimace, sans rien dire. Il ne disait jamais rien. Mère lui lança un regard amusé. Elle était encore saoule pensais-je. Comme tous les soirs, comme tous les jours. Elle murmura des mots, non elle grognait un langage qu’elle seule connaissait. Ses longs cheveux bruns n’étaient plus si soyeux, des fils gris commençaient à parsemer son épaisse chevelure. Elle n’avait même pas trente ans pourtant. Papa l’attrapa et la fit s’asseoir, entre lui et moi. La table était dressée, de simples couverts en métal, des assiettes plus jaunes que blanche. Maman me regarda brièvement, vivement elle détourna les yeux. Je baissais la tête. Grand-mère apporta un grand plat. Mère se servit du vin. Encore et toujours. Comme si ses lèvres ne pouvaient se détachait de cette piquette pourpre. Personne ne dit mot. Personne n’osait briser ce silence. Sauf elle. Elle fit tomber ses couverts dans un fracas sans nom. La vaisselle se brisa, et Louisa regarda les morceaux brisés d’un air étonné. Père grimaça. Il ne dirait rien. Il ne lui disait jamais rien.
« Et une assiette de moins à laver. » soupira grand-mère. Les yeux sombres de Louisa s’animèrent en un instant. Elle sauta sur ses fines jambes. La rage déchirait ses traits et déformait ses traits.
« Je n’ai aucune leçon à recevoir de vous. » dit-elle en hurlant. Grand-mère releva la tête, et un fin sourire se dessina sur son visage ridé.
« Pauvre folle. » déclara t’elle d’un calme olympien. Mère se balança sur le côté, le poing levé, en titubant dangereusement. Père l’attrapa dans ses bras. Elle hurlait désormais.
« Je vous tuerais, je vous arracherais le cœur avec mes dents ! Je le jure vielle peau, je vous tuerais !.. » Grand-mère se leva et me prit dans ses bras.
« Viens mon garçon. Ta mère n’est vraiment pas en état de te coucher ce soir. » Elle se leva et m’emporta dans l’autre pièce. Les voix de papa et maman s’élevaient peu à peu.
« Ne t’inquiète pas mon bébé. Ne t’inquiète pas. » Dit-elle en me posant dans mon lit, un large sourire dévoila ses dents manquantes. Elle s’assit près de mon lit. Et chanta une faible mélodie.
« Viendras-tu, oh, viendras-tu
Me retrouver au grand arbre
Et partir avec moi comme je te l'avais demandé.
Des choses étranges s'y sont vues
Et moi, j'aurais tant aimé
Te revoir à minuit à l'arbre du pendu »
(…)
« Ainsworth ! Tu viens avec nous chez Tim ? Y’paraît qu’son père a reçu un truc du capitole. T’sais, à cause de sa sœur. » Je hochais silencieusement la tête. Et Hunter me donna rendez-vous un peu plus tard, près du saule de ce vieux Gary. Je quittais la salle de classe sans bruits, c’était sans doute ce qui me qualifiait le mieux. Ma discrétion. Miss Olivia me donna mes bulletins avec son grand sourire. Elle m’aimait bien miss Olivia. C’était bientôt l’heure de la transmission des jeux. Et le district semblait éteint. Quelques gamins couraient dans la rue pleine de boue. Une mère au loin étendait quelques linges. Un poing s’écrasa sur mon épaule.
« Mareck ! Dix-sept heure chez Tim ! N’oublie pas hein ! » Comment oublier. Je tournais la tête. Et entendis Hunter partir en courant. Toujours pressé ce mec pensais-je. Ma maison n’était pas très loin du centre. Une grande masure, presque identiques à toutes les autres. Seul l’étage en parfait état lui donnait un charme certain. Nous n’étions pas riches loin de là. Père travaillait à la surface de la mine, en tant que contremaître ce qui lui assurait une certaine sécurité. Et mère ne travaillait pas. Grand-mère s’assurait de l’état de la maison. Mais notre maison était belle. En comparaison à d’autres. Je distinguais déjà le palier. Sur ce palier, mère. Et un homme. Grand et brun. Costaud.
« …Non arrête. C’est impossible. » « Maman ? » Les deux se retournèrent comme un seul homme. L’homme en question avait des yeux bleus d’une rare intensité, je m’avançais vers eux. Mère plaqua une main sur sa bouche et plaqua son épaisse chevelure en arrière. Personne ne dit mot. L’homme me fixait étrangement. Une lueur brillait au fond de son regard. Mère tournait la tête.
« Tu es de retour de bonne heure mon bébé. » dit-elle dans un sanglot non dissimulé. Je détachais mon regard de l’homme, afin de la fixer elle.
« Il y a les jeux ce soir. Je voulais aller chez Tim. C’est sa sœur qui a été désigné tu sais. » Elle acquiesça vigoureusement.
« Bien sûr. Pauvre enfant. » L’homme toussa bruyamment. Mère sursauta comme si elle avait oublié sa présence. Un silence s’installa dès lors. L’homme ne me quittait pas des yeux. Mère elle n’arrivait pas à fixer son regard.
« Ha, hum. Mareck, je te présente un vieil ami. » L’homme, l’ami la regarda vivement, un faible sourire lui déforma le visage. Un sourire tordu.
« Bonsoir. » dis-je simplement en dévisageant l'homme. Je grimpais les quelques marches du palier pour rejoindre mère.
« Et vous vous appelez comment ? » Le sourire disparu de son maigre visage. Ses yeux traversèrent mon corps d’enfant.
« Finn Malliser. » Sur ces mots il nous salua, et s’en alla. Mère attrapa ma tête et l’appuya contre ses hanches. Elle pleurait. Mais pas de tristesse. Elle pleurait de joie.
(…)
Il pleuvait, Hunter riait sans se retenir. Il me passa sa cigarette.
« J’suis sûr que tu peux te la faire la Katlyn. Tu sais, avec elle pas la peine de sortir le grand jeu. » Je souriais en tirant sur la cigarette.
« Elle a deux ans de moins que nous mec. » Il me fixa incrédule.
« C’est pas comme si c’était une gamine la Katlyn. Quinze ans mec ! Et des seins gros comme ça ! C’est pas humain si on ne peut pas en profiter. » Je souriais en le regardant mimer l’imposante poitrine de la dénommée Katlyn.
« Tu n’as qu’à sortir avec Hunter. Elle ne m’intéresse pas. » Je tirais une seconde fois sur la cigarette et lui redonna. Il leva les yeux au ciel en marmonnant. Ses taches de rousseur lui donnaient alors un air de chien battu.
« Elle te veut toi. Comme Fanny, Magda et Viviane. Et à chaque fois, tu les jettes. » Je souris doucement en baissant la tête.
« Tu pars demain pour toujours ou presque. Alors fais-moi le plaisir de te faire Katlyn ce soir. Et plutôt deux fois qu'une. C’est tout ce que je te demande frère. » Dit-il en avançant son poing. Je soupirais. Mon poing frappa le sien.
« C’est bien pour te faire plaisir Hunt. » Son sourire réapparut aussitôt. Il jeta la cigarette au loin.
« Et ta mère ? » Je soufflais. Baissant la tête.
« Toujours pareil. » Il baissa la tête lui aussi. Pour la relever aussitôt.
« Elle ne passera pas une nouvelle saison la vieille Lucy a dit. » Il ne répondit pas. Mais posa sa main sur mon épaule. On se connaissait depuis le berceau. Pas la peine de parler.
« Tu vas me manquer mec. » Je me levais et le serra dans mes bras.
« Toi aussi frère. » Et il tourna la tête. Mes yeux me piquèrent. On se sépara sans plus aucuns mots. Sur le palier, Katlyn emmitouflée dans un manteau de fortune. Je souris doucement. Demain tout serait terminé. Demain tout sera différent.