La première fois que j’ai chassée ? Je m’en souviens comme si c’était hier. Le jour de mes treize ans mon frère Seth, de quatre ans mon aîné, était venu me réveiller à l'aube pour me donner ma surprise. Avant mes parents, qui dormaient dans une chambre en face de la mienne, j'entendais mon père ronfler, je me demandais comment ma mère pouvait dormir avec un homme qui ronflait aussi fort .Il m'avait demandé de m'habiller pendant qu'il préparait mon petit déjeuner, qui se résumait à une tartine avec un peu de chance de la confiture de fraises et un verre de lait, comme il le faisait chaque matin avant de partir travailler à la mine. Une fois habillée et mon maigre petit déjeuner engloutit, je l’avais rejoint devant la maison. Il avait apporté son arc qu'il avait fabriqué lui-même avec les conseils de son ami d'enfance, Thomas le fils du bûcheron qui habitait avec son père dans une vieille bicoque à la sortie du village, et un carquois rempli de flèches. Quand je lui avais demandé pourquoi, il m'avait répondu : "Tu le sauras bien assez tôt" avec un sourire en coin qui illuminait à chaque fois son visage de porcelaine.
Le soleil avait à peine pointait le bout de son nez et la légère brise s'était levée, me faisant légèrement frissonner, je resserrai l'étreinte de la veste kaki qui avait appartenu à Seth quand il était plus jeune, et dont les manches étaient un peu trop grandes pour moi.
Dans les rues de la Veine nous ne croisâmes personnes, même pas les pacificateurs qui chaque matin, vers cinq heures prenaient la relève de leur collèges restaient toute la nuit pour surveiller que les habitants respectaient bien le couvre-feu et ne fassent pas trop de bêtises.
Mon frère aîné s'est soudain arrêté devant le grillage électrifié qui encerclait notre village et il m'a regardé en souriant.
- Seth ! C'est trop dangereux lui avais-je dis, maman va t'étriper si elle sait que je suis venue avec toi !
- ça sera notre petit secret, avait il répondit simplement.
Il m'avait ensuite montré un trou assez grand dans le grillage dans lequel je m'étais faufilée à sa suite, en faisant très attention à ne pas toucher le grillage qui grésillait légèrement.
De l'autre côté de l'immense grille rouillée, une forêt de sapin s'étendait à perte de vue.
Je jetai un dernier coup d'œil derrière moi de peu d'avoir été suivie par la patrouille avant de m'enfoncer dans les bois avec mon frère qui me tendit l'arc qu'il portait.
- Et toi ? Lui avais-je demandé en considérant l'arc qui avait connu de meilleurs jours dans mes petites mains.
Sans un mot, il s'approcha d'un arbre grand et majestueux dont le tronc creux avait servi de cachette pour un second arc.
- En avant soldat ! M’avait-il ordonné en me montrant le chemin avec son bras
Il m'avait emboîté le pas tandis que la forêt nous engloutissait de plus en plus.
Au-dessus de nos têtes, le ciel prenait une teinte bleue délavée et les oiseaux prenaient leurs envols.
Soudain, Seth me fit signe de m'arrêter et de m'accroupir, et pour cause devant nous se tenait le plus gros sanglier en train de manger des petites herbes à ses pieds, tout seul.
Je n'en n'avais jamais vu autre part qu'en train de rôtir dans la boucherie de monsieur Hawk, dans laquelle je n'avais jamais mis les pieds puisque un seul morceau de bifteck se vendait à prix d’or, et que même avec l'argent que gagnaient mon père et mon frère en travaillant jour et nuit à la mine, nous n'arriverions quand même pas en acheter la moitié et encore moins le quart.
Mon frère m'a fait signe de ne pas ouvrir la bouche il laissa tombé son carquois remplis de flèche, puis il s'était redressé doucement le regard toujours fixé sur l'animal puis il banda son arc.
La flèche émit un bruit sourd et atterrit dans le poitrail du sanglier qui grogna, il fonça soudain dans le bosquet ou je m'étais caché avec mon frère, ses sabots martelant la terre sèche.
- Pousses toi, Cordélia ! s'écria-t-il
Le sanglier bouscula mon frère qui tomba sur les fesses.
A mon tour, je bandai mon arc et tirai une flèche comme j'avais souvent vu faire mon frère, dans le jardin derrière notre maison, il m'avait plusieurs fois montré comment bien tendre la corde, après quelques essais catastrophiques, je m'étais mis à m'entrainer chaque jours après l'école. Je visai l'animal enragé, ma première flèche manqua sa cible et se ficha dans la terre au pied du sanglier qui s'apprêtait à charger de nouveau sur nous. Je dégainai une flèche du carquois que mon frère avait posé à mes pieds me lança une autre flèche qui arriva cette fois-ci dans le torse du sanglier, qui s'écroula sur le sol avec un bruit sourd déplaçant dans sa chute un épais nuage de poussière, raide mort.
Seth se releva et vient vers moi en claudiquant légèrement
- Félicitations Cordy, tu as tué ton premier sanglier !