C'était un soir d'été, atrocement chaud, et les journées longues permettaient à tous les habitants du district 11 de profiter du soleil, après une rude journée de travail. Une fois les vergers vidés de toute activité, Gabrielle avait pris l'habitude de s'y rendre, pour profiter de quelques instants de solitude. Elle savait à quel point son père avait horreur de la voir danser à la maison, alors c'était à ce moment là de la journée qu'elle en profitait. Après s'être assurée qu'elle était seule, elle avait enlevé son gilet, qui avait pour unique but de cacher les bleus laissés par son père, lorsqu'il buvait trop et qu'il se mettait dans une colère noire. Délivrée d'une couche de vêtement qui la tuait à cause de la chaleur des journées, elle se mit à faire quelques pas de danse, dans l'herbe. C'était une sensation de liberté qui la traversait, et qui la rendait particulièrement joyeuse. Pas besoin de musique, ni de quoi que ce soit d'autre. Elle pouvait fermer les yeux, et son corps parlait pour elle. " Il faudra que tu m'apprennes à danser un jour! " lança une voix masculine derrière elle, qui la fit sursauter. Lorsqu'elle se retourna, elle découvrit Ephram, un garçon de son école, âgé de deux ans de plus qu'elle, qui s'avançait vers elle, l'air de rien. Elle acquiesça, en décrochant un léger sourire, mais elle était intérieurement paniquée. Il fallait qu'elle retrouve son gilet, et vite." Qu'est-ce que c'est? " demanda alors Ephram, qui était loin d'être dupe, et qui avait remarqué les nombreux bleus. Les pensées de Gabrielle se mirent à fuser très vite, se demandant quel mensonge inventer, tandis qu'il s'était approché d'elle, avait tendu sa main vers son épaule recouverte de bleus, et l'avait frôlé du bout de ses doigts. Il avait ensuite lancé un regard interrogateur à Gaby, et ses yeux d'un bleu pétillant ancrés dans les siens lui donnèrent l'étrange impression d'être passée au rayon X. Elle se sentait incapable de mentir. " C'est mon père." souffla t-elle, à voix basse, comme si elle espérait qu'il ne l'entende pas, baissant les yeux vers le sol. Elle sentit le regard d'Ephram se poser à nouveau sur ses blessures, puis il soupira, comme énervé. " Dis lui d'arrêter! Il n'a pas le droit d'avoir ce genre d'emprise sur toi! " lança t-il, révolté à l'idée qu'un père fasse du mal à sa fille. " Tu dois lui dire de te laisser tranquille, hurle le s'il le faut! " continua t-il, persuadé que c'était la meilleure chose à faire.

" Tu sais, je me souviens de ta mère." avait-il ajouté, après quelques secondes de silence, voyant le malaise qui c'était installé entre eux deux, tandis qu'ils avaient abordés ce sujet sensible. "Tu lui ressemble comme deux goûtes d'eaux... " avait-il continué, confirmant ce que tout le monde avait toujours pensé de Gaby et de la défunte Mrs Tonkins. Elle était son portrait craché. Elle leva les yeux vers lui, et vit qu'il lui souriait, avec une sorte de compassion qu'elle n'avait pas l'habitude de retrouver dans ses traits. Elle le connaissait très peu, juste de vue, et pourtant, elle le voyait comme un garçon malin et joueur, qui n'avait pas vraiment la tête à penser aux choses déplaisantes. Pourtant, il l'aidait, et elle en était surprise. " ... et je crois que ton père ne peux pas le supporter. " avait-il achevé, l'air grave. Il venait de résumer en deux secondes ce que Gaby avait mit une éternité à comprendre.

Émue par ce qu'il venait de dire, et ayant toujours été très sensible, Gabrielle ne put empêcher quelques larmes de venir se nicher sur les coins de ses yeux. " Je..." commença t-elle, la voix tremblante, incapable de trouver les mots. " Heeey! " lança t-il, attendri par la tristesse de Gaby. Il se mit à côté d'elle, passa un bras autour de ses épaules, et la serra contre lui. " Arrêtes de pleurer. Ton père ne sait pas ce qu'il rate! " continua t-il, avec conviction. " Ah oui? Et qu'est-ce qu'il rate?" lança t-elle, d'un ton ironique, persuadée par son éternel manque de confiance en elle, qu'elle ne valait rien. Pour toute réponse, il plongea ses yeux dans les siens, et cette sorte ce rayon X fit à nouveau effet, et il n'eut pas besoin d'ouvrir la bouche pour qu'elle comprenne que pour lui, elle valait beaucoup. Puis il avait souri, avec une malice qui lui était propre. " Et mes leçons de danse alors? "

" [...] Louis Tonkins." Le temps que l'information monte au cerveau de Gabrielle, son frère s'était déjà avancé à travers la foule, cherchant à rejoindre l'estrade. " Non! NON! Je prend sa place! Laissez moi prendre sa place!" se mit-elle à crier, pour que tout le monde l'entende, se frayant un chemin à travers les jeunes filles. La caméra se tourna vers elle. " Je vous en prie! Je me porte volontaire! " La situation était ridicule, pourtant, personne n'avait ri. Cette gamine de quatorze ans, frêle, et paraissant atrocement minuscule dans cette foule, souhaitait prendre la place d'un grand gaillard comme son frère dans les jeux impitoyables. C'était tout à fait improbable, de par la différence de sexe, mais elle n'y avait pas pensé. La seule chose qu'elle avait en tête, c'était se frayer un chemin vers l'estrade, et de mourir à la place de Louis. " Gaby! " lança Emma derrière elle, certainement à sa poursuite. Elle n'avait plus conscience de quoi que ce soit autour d'elle, et elle ne s'arrêta lorsqu'une main se ferma sur son poignet, comme un électrochoc, l'empêchant de bouger à nouveau. " Gaby, calme toi! " la supplia Emma, qui l'attira près d'elle, et l'entoura de ses bras, d'une étreinte qu'elle voulu réconfortante. Mais tout ce que Gaby ressentait, en cet instant précis, c'était de la colère. Elle voulait hurler sa haine contre ceux qui lui enlevaient son frère. Jamais elle n'avait réfléchi à ce que pouvait représenter le Capitole dans sa vie. "Ça n'arrive qu'aux autres", avait-elle toujours égoïstement pensé. Aujourd'hui, son frère avait été condamné à une mort certaine, et tout cela à cause de ces Hunger Games sanglants et inutiles. A deux doigts de craquer, elle enfonça ses ongles dans le dos d'Emma, à laquelle elle s'attachait avec une étrange ferveur, comme s'il s'était agit d'un pilier qui l'empêchait de tomber. Dès ce soir, le Capitole et tous les districts auraient l'occasion de revivre cette scène sur leurs écrans. Que le pire moment de son existence soit filmé et visionné par des tas d'étrangers la dégoûtait. Mais elle avait toujours été incapable de maîtriser ses émotions, et elle fondit en larmes, renonçant à l'idée de sauver Louis, se résignant à le perdre à jamais. " Et puisse le sort vous être favorable!" lança quelqu'un, qu'elle ne parvenait plus à identifier,après un discours qu'elle n'avait pas suivit. Puis la foule s'était dissipée, elle était restée dans les bras d'Emma, jusqu'à ce qu'Ephram arrive, et la serre dans une étreinte à l'en étouffer. Il comprenait, il avait toujours compris.